Je n’étais jamais allé à Perpignan, ni en touriste, ni en urbaniste. Je n’avais donc de la ville que cette idée peu originale d’une cité du Sud, avec beaucoup de soleil, située entre France et Espagne et traversée par les migrations tant dans l’histoire que chaque été, en période estivale. Or l’occasion m’a été donnée d’y aller et même de m’y impliquer. Sollicité par la Métropole et son Maire-Président, Jean-Marc Pujol, j’ai joué le rôle de modérateur de trois journées organisées pour approfondir le projet de territoire, Terra Nostra.

Au gré des visites et des discussions, j’ai découvert un site au paysage et à la géographie exceptionnels, le long de la mer, au pied du Canigou, avec un arrière-pays agricole et viticole riche, empreint d’une histoire foisonnante : les cathares, la retirada…

J’y ai découvert la passion catalane, durant les débats auxquels a assisté durant les trois jours le sénateur, à égalité avec les autres participants. Vous connaissez beaucoup d’endroits où l’on peut ainsi parler sans contrainte ?

J’y ai découvert un site ayant fait des choix comme celui de l’énergie solaire ou éolienne, un attachement au pays, une ouverture vers l’extérieur. Des problèmes aussi comme la pauvreté d’une partie de la population, les risques liés aux inondations, l’omniprésence de la voiture, la fragilité du paysage, la rareté de l’eau…

L’ambition était vaste : approfondir un projet juste et sans concession pour la Métropole et, au-delà de la vision, rendre opérant le passage à l’acte en choisissant des priorités, des méthodes, des partenariats adaptés. La demande politique était qu’aucun sujet ne soit tabou. Trois thèmes avaient été retenus : identités au pluriel, développement territorial, accueil et bien-vivre. Les travaux, préparés par l’Agence d’Urbanisme et les services communautaires, servaient de base aux débats. Une des règles était que l’on débouche sur des propositions concrètes, faisables en un temps raisonnable et finançables.

Trois jours enthousiasmants et productifs.

De l’identité, dont les participants stimulés par les experts ont esquissé la silhouette, il n’est pas ressorti une image figée et excluante ou un concept abstrait mais plutôt le croisement, la juxtaposition de caractères multiples, parfois contradictoires. Elle emprunte aux modes de vie, au rapport à la géographie, à l’histoire d’un peuple situé entre ici et ailleurs et qui a vu les migrations se succéder. Elle est portée par une personnalité catalane qui mêle modestie, refus du bling-bling et pugnacité, ouverture vers le monde et ancrage au pays…D’autres caractères ont été évoqués qui dessinent une photographie complexe du territoire et de ceux qui l’occupent, de leur rapport à l’ailleurs. Passionnante réflexion collective, elle a été possible parce qu’il ne s’est pas agi de techniques urbaines mais de recherche de sens, de pertinence. Parce qu’il n’y a pas eu des « sachants » mais des accoucheurs, qui ont favorisé l’écoute des autres, l’expression de la parole, des contradictions. Dans ces conditions, élaborer un projet collectif à partir du terrain est possible et éveille l’envie d’une plus grande implication du public. Or le moment est approprié, quand l’identité est colonisée par l’agressivité au lieu d’être un patrimoine commun, évolutif, une force pour trouver ensemble des solutions.

Les réflexions sur le développement territorial ont conduit à préciser les domaines à prioriser -l’énergie renouvelable, la formation, un certain tourisme…-, les échelles de coopérations à mener, des villes d’Occitanie à la Catalogne. Elles ont pointé les atouts de la Métropole et ses fragilités, les sujets auxquels il fallait être attentif : l’agriculture, le bord de mer, la nature, l’eau… Le but est que le développement ne soit pas la banale reproduction de ce qui se fait ailleurs mais qu’il s’ancre dans les spécificités locales, se nourrisse de ses ressources notamment humaines. Il est aussi d’affronter les enjeux d’aujourd’hui : les risques, la pauvreté d’une partie de la population… A noter que les débats ont permis aux participants de mieux se familiariser avec l’échelle métropolitaine. Ils ont de plus montré l’interdépendance entre tous les thèmes et le développement ne peut se faire au détriment des qualités du territoire, lesquelles participent au bien-vivre. Comment alors accueillir les nouveaux arrivants quand la population augmente de 1% par an ? Il faut apporter des réponses qui prennent en compte les risques. On ne peut les ignorer (la carte qui les répertorie est édifiante) mais il faut les dépasser. Comment ? En engageant une évolution urbaine qui préserve les terrains inondables et leur donne un autre rôle, agricole ou paysager par exemple, au service du territoire et de ses habitants. Il a aussi été évoqué de concentrer les constructions autour des cœurs de villes et villages en y renforçant les services, y créant des espaces de détente, des jardins, en donnant plus de place aux piétons, aux vélos, plus d’efficacité aux transports publics : un projet en soi.

La mobilisation d’une centaine de personnes a été complexe car il s’agissait de quitter les postures critiques au profit d’attitudes d’écoute, de proposition puis de construction commune. Ce fut un grand moment professionnel d’interrogation du projet métropolitain afin qu’il intègre mieux singularités et changements, qu’il approfondisse certains sujets pouvant mener vers de nouvelles priorités… Ce fut aussi un grand moment humain de découverte de gens aussi attachants et passionnés que l’est leur territoire. A l’avenir, l’un des enjeux reste bien que les publics trouvent leur place dans cette exploration et que l’intelligence, la dispute parfois continuent à donner du sens aux réflexions et aux actes à conduire par la suite.

Jean-Pierre Charbonneau

Paris, le 11 juillet 2019

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