Il faut pardonner à l’auteur un titre maladroit : on pourrait imaginer un ouvrage consacré à la face doloriste de la Politique de la Ville. Or le récit s’achève en 1973, alors que la construction des cités bat encore son plein, mais qu’une circulaire ministérielle Guichard décide de ne pas lancer de nouveaux “grands ensembles” sociaux de 1000 logements.

C’est donc une histoire de l’invention, du financement et de la mise en production des cités. Le livre dézingue méthodiquement la légende dorée qui court les milieux de l’architecture, de l’urbanisme et du logement social. Savoir : que ces grands ensembles auraient été la seule réponse possible à l’effroyable crise du logement d’après-guerre ; qu’au surplus ils répondaient aux doctrines ruralistes réactionnaires du Régime de Vichy ; que leur réalisation aurait été fêtée par un peuple avide de baignoires et d’unité sociale ; que leur déclin viendrait d’une scélérate politique pompidolo-giscardienne, faisant de ces quartiers des lieux de relégation sociale ; etc.

Xavier de Jarcy reprend le fil depuis les années 30, rappelle des dates clés, retrouve les inventeurs, architectes, hauts fonctionnaires et entrepreneurs, les suit devant leurs nombreuses mangeoires politiques successives (y compris Vichy bien entendu), esquisse des biographies assassines (Le Corbusier, cas connu, et bien d’autres encore). Il rappelle en particulier que les cités sont pour l’essentiel des productions tardives, non de l’immédiat après-guerre mais des gouvernements gaullistes après 1958. Il récuse de façon convaincante un illusoire consensus qui se seraient établi à l’origine, sur ce que le bon peuple a tout de suite comparé à des cabanes à lapin. Il reste un peu court sur les aspects financement/gestion, mais on a le droit de compléter.

C’est vivement écrit, par un journaliste. Ça ne doit pas faire oublier la qualité de la documentation. L’auteur s’est plongé dans des ouvrages édités, des documents audiovisuels, et aussi dans une littérature bureaucratique (notes interne set comptes-rendus de réunions), particulièrement fastidieuse à recenser, et surtout difficile à trouver (je parle d’expérience). Efforts récompensés : il y des perles ! Vous ne saurez pas quoi faire des cités, mais vous saurez mieux comment elles sont arrivées là.

Jean-Michel Roux

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