Ce numéro 26, le second de l’année 2019, arrive à la veille des vacances. Le titre du dossier qui lui donne sa couleur est assez général : La ville et le territoire, mais ajoute un accent particulier : connectivité versus centralité, auquel on pourrait presque ajouter un point d’interrogation. C’est en effet une manière de questionner la nature de la ville aujourd’hui, de nous demander si les représentations courantes que nous en avons correspondent à la réalité ou ne sont plus que le souvenir d’une ville qui a disparu.
Henri Lefebvre, fervent partisan de la centralité comme lieu d’une vie urbaine populaire, ludique et politique, revendiquait pour tous, il y a 50 ans, le droit à la ville. Mais il ajoutait, avec une sorte de pessimisme, que les tendances de l’urbanisation poussaient à dissoudre la ville dans un urbain généralisé allant de pair avec une fragmentation de la société.
On peut penser, à voir le paysage actuel du territoire urbanisé, que ce regard ne manquait pas de lucidité. Et un demi-siècle plus tard, l’aventure des gilets jaunes auquel le gouvernement ne donnait pas trois mois d’existence se prolonge et bouscule la vie politique d’une manière encore inimaginable l’été dernier. Analyses, perspectives et priorités s’en trouvent changées.
Le constat de cette situation qui perdure a conduit Tous urbains à réaliser un dossier qui est moins ouvert à des contributeurs extérieurs que d’habitude. Cette décision correspond à une volonté de s’expliquer entre nous en partant du constat que si un intérêt pour la ville et ses évolutions actuelles nous rassemble, les conclusions que chacun peut en tirer ne sont pas identiques et que la dispute de nos points de vue pourrait être une façon de sortir du non-dit et d’affirmer l’existence de positions différentes, voire divergentes, enrichissante pour tous à condition d’en argumenter les raisons tout en évitant l’anathème. Ouvert ici avec ce dossier, le débat n’est qu’esquissé ; il se poursuivra sur le site à partir de l’été.
En attendant, le monde incertain continue à hoqueter. Là un Brexit qui n’en finit pas dans une Europe divisée et tiraillée ; au sud, une Algérie éprise de changement qui gagne symboliquement la première manche ; au Moyen-Orient, des orientations inquiétantes pour la paix ou la démocratie, d’un côté on parle d’annexer des territoires palestiniens, repoussant ainsi la perspective d’un règlement du conflit, plus loin on rétablit la charia… À son habitude, Trump poursuit ses rodomontades, le Brésil s’enfonce, la Chine imperturbable continue sa croissance, à Paris la cathédrale Notre-Dame s’enflamme et perd sa toiture presque millénaire.
Si ce numéro 26 se concentre sur le territoire national et ses fractures, le prochain justement traitera de la Chine dans un numéro double en partenariat avec l’École urbaine de Lyon. Occasion de réfléchir sur les villes et les campagnes de la seconde économie mondiale qui n’est plus seulement « l’usine du monde » mais talonne aujourd’hui l’occident dans l’intelligence artificielle et les technologies les plus sophistiquées. Occasion de s’interroger sur un pays qui, en traçant son chemin en conciliant capitalisme d’État et pouvoir autoritaire, représente la stabilité et la croissance dans un monde désorienté.
Dans son introduction à L’Âge des extrêmes. Histoire du court xxe siècle, Éric Hobsbaum notait que le développement de la démocratie avait constitué un fait relativement récent et que son maintien comme idéal mondial n’était pas assuré.
Enfin, je ne voudrais pas terminer cette ouverture sans évoquer la disparition d’Agnès Varda, survenue au moment où nous mettions en forme ce numéro. Et le souvenir qu’a été pour un jeune architecte la sortie de Daguerréotypes, témoignage émouvant d’une vie urbaine qui n’existe plus.