Tous Urbains https://tousurbains.fr Sun, 13 Mar 2022 20:24:20 +0000 en-US hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.0.16 https://tousurbains.fr/wp-content/uploads/2019/11/cropped-Logo-2-32x32.jpg Tous Urbains https://tousurbains.fr 32 32 Tous urbains n°33 – à paraître ! https://tousurbains.fr/index.php/2022/03/13/tous-urbains-n33-a-paraitre/ https://tousurbains.fr/index.php/2022/03/13/tous-urbains-n33-a-paraitre/#respond Sun, 13 Mar 2022 20:06:46 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1272 Deux crises simultanées provoquent une catastrophe, et il se peut que l’enjeu actuel soit d’éviter la catastrophe. Car, à l’heure de cet édito, nous traversons bien deux crises (ndlr : une troisième crise, diplomatique, est arrivée depuis la rédaction de cet édito) qui ne sont pas près de se résoudre. De notre côté, nous aimerions que la crise soit notre chance[1] de réfléchir et de changer les pratiques.

D’abord c’est une crise sanitaire mondiale qui bouscule nos modes d’habiter, de travailler, de voyager et plus généralement nos relations aux autres, où contacts et distances doivent soudainement être mesurés. Dans les métiers touchant à l’urbanisme, on tente ici et là de modifier les pratiques en intégrant le risque sanitaire. Prenons le secteur largement impacté du logement, en laissant de côté pour l’instant celui de l’immobilier d’entreprise qui encaisse de nouvelles turbulences, ce dont il est coutumier. Beaucoup de discussions portent sur comment adapter la production de logements et les rendre à nouveau vivables dans ces nouvelles conditions : on est contraint de cohabiter tous en même temps, de travailler depuis son logement en espérant ne pas être affecté par la présence des autres membres du foyer – quand ils existent –, on aimerait pouvoir prendre l’air dans un espace extérieur attenant au logement, ou sortir de son isolement et avoir un minimum de vie sociale, pour commencer à l’échelle du voisinage (et quand on en a la possibilité, on fuit son logement en ville). On s’est donc mis à rêver de la réhabilitation de cours et de jardins communs dans les immeubles, des paliers généreux et de toitures accessibles où se rencontrer, de la systématisation des espaces extérieurs privatifs. Mais, voilà, ces espaces, surtout ceux qui sont mutualisés, ne sont pas valorisés dans les bilans de promoteurs. De l’autre côté, accueillir à l’intérieur des logements les usages que l’on a décrit, correspond à plus de place. Or, des logements plus spacieux sont proportionnellement des logements plus chers, tandis que les ménages ne s’enrichissent pas. On reviendra plus tard sur ce qui détermine le prix des logements, voyons déjà comment on peut améliorer les plans types de ce qu’on appelle bien souvent des produits (ndlr : des logements). Les promoteurs redécouvrent la magie de cuisines qui retrouvent un statut de pièce : une cuisine qui peut se fermer et servir en dehors des repas, de dimension suffisante pour accueillir une table, sortie du fond du séjour pour retrouver une place en façade, avec une fenêtre pour l’éclairer et la ventiler ! Le rapport Girometti-Leclercq[2], qui s’appuie pour partie sur une étude conséquente menée par l’IDHEAL[3],  explique que le déplacement progressif des cuisines vers le fond des salons (qui en passant deviennent plus petits) est le résultat d’un épaississement des bâtiments, cette fameuse « compacité des bâtiments » qui répondrait aux recherches d’économies dans les bilans de promotion, avec le prétexte d’une plus grande efficacité thermique…

Voici donc la deuxième crise, la crise climatique, tardivement considérée et face à laquelle on se sent impuissant, dépassé par les enjeux. L’État français multiplie les lois, les dispositifs et financements incitatifs qui visent à préserver les espaces naturels et agricoles, garants des équilibre écosystémiques et réservoirs alimentaires, en résorbant l’étalement urbain. Vont dans ce sens la Loi Alur, le programme de « sobriété foncière », puis cet été la loi Climat et résilience qui inclut le fameux objectif ZAN (Zéro Artificialisation Nette à horizon 2050). Le ZAN fait trembler tous les acteurs de l’aménagement sur la base de deux motifs récurrents. Le premier est technico-politique : personne ne sait vraiment comment l’objectif ZAN sera mis en œuvre entre les SCoT (schéma de cohérence territoriale) et leurs traductions dans les PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal), entre les difficiles négociations qui devront être menées localement : qui arbitrera ? selon quels critères ? (Nous y reviendrons dans un article programmé dans un futur numéro, c’est promis). Mais surtout, le deuxième motif récurrent est le risque d’augmentation du prix du foncier qu’induira sa rareté à venir, et par conséquent l’augmentation du prix des logements. À cela s’ajoute ce qu’Éric Charmes[4]met en lumière dans ses articles récents : derrière le ZAN, on retrouve un modèle de ville qui condamne ce à quoi une bonne part des Français aspire… habiter une maison individuelle[5]. Éric Charmes pointe le risque que ce type de logement, qui reste le plus accessible financièrement pour les ménages, devienne plus cher : moralement ce sera bien de limiter ainsi la construction de maisons et la consommation de sols qu’elle induit, mais quid du décalage avec les aspirations des habitants ? Car la crise a bien montré la fuite des villes et la migration vers les zones moins denses, voire la campagne. En réalité, le prix des logements en ville dense, qui est le plus cher du fait de la pression foncière, augmentera davantage encore : en effet, construire en milieu dense, sur de plus petites emprises, en fond de parcelle ou par surélévation, implique des contraintes techniques et de mobiliser de l’intelligence, c’est-à-dire des ressources humaines et du temps, ce qui a un coût. Et pourquoi ne pas simplement accepter ce surcoût et voir quel coût pourrait être maîtrisé ? Par exemple, le prix du foncier ou, on ose à peine lever le tabou, les marges des promoteurs ?

Parallèlement, de nouveaux paradigmes apparaissent dans les réflexions urbaines avec notamment celui des sols vivants. Ce sol, la pédosphère, qui ne mesure qu’un à deux mètres de profondeur, se situe à l’interface de l’atmosphère où nous évoluons et que nous aménageons, construisons, cultivons, et de la lithosphère, c’est-à-dire le niveau des roches. Porter une attention au sol, c’est veiller à sa qualité de ressource alimentaire et à l’équilibre écosystémique qui rend la planète vivable. Notre tendance au point de vue anthropocentrique combinée à une idéologie du règne financier, nous amène à traduire cette richesse des sols vivants en valeur financière : pour préserver les sols naturels et agricoles, on augmente la valeur foncière des sols urbanisés – ou comment s’engager davantage dans la spéculation foncière. Mais pourquoi ne pas inverser les tendances et assumer une ambition politique – l’accès au logement – en décidant une bonne fois pour toute d’encadrer le prix du foncier ? Car c’est bien ce qui permettrait d’offrir des logements bien construits et spacieux à des prix accessibles, de rendre possible le renouvellement de nos villes, d’entrer allègrement dans une attention réelle au sol…

Autant de sujets qui impliquent tous les acteurs, urbains ou pas, et c’est bien notre projet pour cette nouvelle édition de la revue Tous urbains ? qui commence avec ce numéro. Nous comptons ouvrir le débat à tous les points de vue, de chacun des acteurs, car nous partageons au sein de l’équipe la conviction que la fabrication de nos territoires engage la responsabilité de tous et n’est pas réservé un seul métier. Le point d’interrogation que nous introduisons dans le titre de la revue est quant à lui une invitation à penser le monde urbain en interface avec son environnement, à prendre en compte les nouvelles façons d’habiter, à dépasser les conflits urbains et ruraux, voire d’élargir notre point de vue anthropocentrique. Ainsi, nous avons le plaisir de commencer avec vous cette deuxième saison de la revue et de vous présenter sa nouvelle maquette qui a été élaborée avec la nouvelle équipe du comité de rédaction qui réunit Olivier Boesch, Cynthia Ghorra-Gobin, Philippe Estèbe, directeur de publication, Vincent Lavergne et moi-même, et avec Alma Gromard pour la conception graphique. Nous renouvelons en même temps l’ambition de la première édition qui a été portée par, dans l’ordre alphabétique, Jean-Pierre Charbonneau, Jacques Donzelot, Cynthia Ghorra-Gobin, Michel Lussault, Olivier Mongin, Philippe Panerai, Jean-Michel Roux, qui pour certains restent actifs dans la nouvelle édition, ainsi que Frédéric Bonnet, Anne Chaperon, Cristina Conrad, Stéphane Cordobes, Vincent Renard : celle d’une revue qui revendique les débats, les points de vue critiques et le ton libre autour des enjeux en œuvre dans les villes.

Shahinda Lane


[1] Pour reprendre la formule « la crise est notre chance » de Gilles Delalex et Yves Moreaux, architectes du Studio Muoto, en écho à celle de Bruno Latour :  « l’apocalypse est notre chance ».

[2]« Rapport Girometti-Leclercq : référentiel sur la qualité du logement », 9 septembre 2021

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport Mission Logement 210904.pdf

[3] l’Institut des Hautes Études pour l’Action dans le Logement

[4] Charmes, Éric. « De quoi le ZAN est-il le nom ? », in Fonciers en débat, septembre 2021

https://fonciers-en-debat.com/de-quoi-le-zan-zero-artificialisation-nette-est-il-le-nom/

[5] Rappelons au passage les nombreux écrits de Jean-Michel Roux dans les pages de cette revue, sur cet impensé de la construction des logements individuels en France.

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Ville et Culture dans les Amériques – Les villes entre « capitalisme culturel » et pratiques culturelles habitantes https://tousurbains.fr/index.php/2021/07/20/ville-et-culture-dans-les-ameriques/ https://tousurbains.fr/index.php/2021/07/20/ville-et-culture-dans-les-ameriques/#respond Tue, 20 Jul 2021 13:30:37 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1212 Dossier coordonné par Diana Burgos-Vigna et Cynthia Ghorra-Gobin

IdeAs #17 (2021) 17 | 2021 Villes et culture dans les Amériques (openedition.org)

L’historien Leonardo Benevolo écrivait dans Histoire de la ville (1983) que la culture était indissociable de l’idée de ville. À présent, les sciences sociales différencient les politiques culturelles des villes au profit de l’attractivité d’une part, des pratiques culturelles habitantes d’autre part.  Les premières, inhérentes aux villes des flux (Mongin, 2013), soucieuses de s’inscrire dans la mondialisation et la globalisation et d’attirer les classes créatives (Florida, 2002 ; Landry, 2008) participeraient du capitalisme culturel (Harvey, 2014) alors que les secondes contribueraient au développement social.  Dans les Amériques, la ville se transforme sous l’effet des flux migratoires et certains quartiers se réinventent au travers de peintures murales et du street art, renforçant alors le débat public et par conséquent la qualité de la démocratie locale (Dabène, 2020). 

Ce sont ces deux définitions de la culture que le numéro 17 de la revue IdeAs met en lumière : (1) la culture au profit du city branding se traduisant par des aménagements urbains et des manifestations internationales et (2) la culture comme le reflet d’une mobilisation sociale au profit d’un récit de ville s’affirmant dans le registre de la pluralité culturelle à partir de travaux empiriques menés dans les Amériques (Chicago, Quito, Montréal, Medellín, Las Vegas, Buenos Aires, La Paz & El Alto, Rapid City et Rio de Janeiro).  

La publication en ligne inclut des articles en français et en espagnol.  L’introduction est traduite dans les trois langues des Amériques : l’anglais, l’espagnol et le portugais.  

https://journals.openedition.org/ideas/10858

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Tous urbains n° 32 – Apprentissages et itinéraires : l’art du passage https://tousurbains.fr/index.php/2021/06/01/tous-urbains-n-32-apprentissages-et-itineraires-lart-du-passage/ https://tousurbains.fr/index.php/2021/06/01/tous-urbains-n-32-apprentissages-et-itineraires-lart-du-passage/#respond Tue, 01 Jun 2021 14:06:05 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1232 Ce numéro est une charnière, entre ce qu’il est désormais convenu d‘appeler la saison 1 et la saison 2. Le manifeste d’ouverture de la saison 2 viendra en son temps. Nous voulons ici proposer au lecteur un guide de lecture et expliciter le parti-pris de ce numéro de transition. D’abord, ce numéro de transition, nous avions voulu le consacrer… aux transitions. Mais nous n’avons pas souhaité aborder la question des transitions sous l’angle de « que faut-il faire pour être à la hauteur des défis du futur ? ». Les débats sont infinis : décarboner, comment ? Désatomiser, comment ? Moins consommer ? Sûrement. Sans parler de la renaturation, du recyclage, de l’agriculture de proximité, des modes constructifs et de la ville compacte, etc. Toutes orientations qui deviennent des points de passage obligés de l’architecture et de l’urbanisme d’aujourd’hui. Non. Nous choisissons de nous inscrire précisément dans ce temps de la transition et d’en tirer profit.

Alors, nous avons pensé pouvoir aborder le thème des « transitions » sous l’angle biographique. Celui des récits de vie, des parcours professionnels et intellectuels et personnels. Le pari que nous faisons est que le récit de vie peut être aussi convaincant que le plaidoyer, la démonstration impeccable ou la prophétie. Le fait est que, chacun, nous avons connu, dans nos carrières professionnelles et intellectuelles des moments de doute, d’incertitude et de bifurcation. Ces moments ont été déterminés par des rencontres, des événements, des expériences professionnelles ou encore des réflexions personnelles. Ils arrivent à chacun, à n’importe quel moment. Ils peuvent déterminer des orientations, des changements de cap brutaux ou bien graduels. Il ne s’agit pas simplement de carrières professionnelles ou universitaires mais de la vie de chacun, et des décisions qu’il ou elle prend, de son plein gré ou sans y penser sur le moment, qui orientent durablement son itinéraire ultérieur. 

Bref : notre hypothèse est que nous sommes tous, tout le temps, en transition. Ici surgit la grande question : la somme des expériences individuelles peut-elle valoir conscience et action collectives ? Quel est le travail qui permet de construire du collectif à partir de ces expériences individuelles de transition ? Disons simplement que, pour l’instant, tous convaincus que nous sommes de la dégradation que nous faisons subir à nos milieux de vie, nous réservons notre réponse. Nous nous proposons d’explorer ces questions dans la saison 2 de Tous Urbain ?

Le Comité de rédaction – Olivier Boesch, Philippe Estèbe, Shahinda Lane et Vincent Lavergne

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Tous urbains continue ! par Philippe Estèbe et Shahinda Lane https://tousurbains.fr/index.php/2021/06/01/tous-urbains-continue-par-philippe-estebe-et-shahinda-lane/ https://tousurbains.fr/index.php/2021/06/01/tous-urbains-continue-par-philippe-estebe-et-shahinda-lane/#respond Tue, 01 Jun 2021 14:00:30 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1243 La revue Tous urbains existe depuis déjà 7 ans. Le numéro double 30-31 annonçait le passage de témoin à une nouvelle équipe pour une « deuxième saison »  que ce numéro de transition amorce. La suite qui se prépare ne sera… ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. 

Ni tout à fait la même parce que le comité de rédaction passe dès ce numéro dans les mains de Shahinda Lane, rédactrice en chef, Philippe Estèbe, directeur de publication, Vincent Lavergne et Olivier Boesch, accompagnés de Ky-Anne Dalix qui sera en charge de la version numérique de la revue. 

Ni tout à fait une autre parce qu’une revue c’est avant tout les rédacteurs qui la nourrissent et la font vivre. Jean-Pierre Charbonneau, Cristina Conrad, Jacques Donzelot, Cynthia Ghorra-Gobin, Michel Lussault, Flavien Menu, Olivier Mongin, Philippe Panerai, Jean-Michel Roux continueront à contribuer aux débats et au contenu au sein d’un conseil éditorial maintenu. Ils sont à l’honneur de ce numéro que nous avons construit comme une collection d’entretiens qui témoignent de leurs parcours professionnels, intellectuels et personnels.

Prendre la suite d’une telle équipe n’est pas chose facile, on le comprend. Nous nous lançons dans cette aventure avec la conscience des risques qu’elle comporte. Celui d’une copie conforme, et donc pâle, des numéros précédents, forcément décevante pour ceux qui nous ont précédés, pour les lecteurs et pour nous-mêmes ; celui, symétrique d’une rupture radicale qui ferait perdre l’étendue et l’intensité des regards critiques, qui animent Tous Urbains. C’est cette ligne étroite, nous souhaitons tenir, pour être à la hauteur de ce qui nous est transmis.

Philippe Estèbe et Shahinda Lane

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Laurent Davezies, de la vallée d’Ossau aux métropoles – extrait du n° 32 https://tousurbains.fr/index.php/2021/04/19/test/ https://tousurbains.fr/index.php/2021/04/19/test/#respond Mon, 19 Apr 2021 09:06:00 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1200 Laurent Davezies est économiste. Il a aussi fait des études d’architecture et d’urbanisme et un passage à Sciences Po (il précise qu’il est diplômé). Sa sensibilité aux questions urbaines n’en fait pas pour autant un gourou de l’urbain, mais un réaliste pour qui les villes sont le terrain par excellence des économistes territoriaux. Il a ses propres conceptions de l’urbanisme rationnel. Rassurons-nous, il n’en sera pas question dans ce portrait. Plus intéressant est ce que Davezies nous dit des relations entre territoires. Et ça, ça vaut le détour.

Laurent Davezies descend de la vallée d’Ossau. Ça ne vous dit rien, on s’en doute. C’est une vallée des Hautes Pyrénées où, paraît-il, on tuait les ours à main nue (ou au couteau nous précise-il). Des ours, il n’y en a plus beaucoup, ou alors quelques-uns, engagés en CDD par le Ministère de l’Écologie, avec la rude tâche de repeupler le parc national des Pyrénées, à la grande rage des éleveurs de moutons et à la joie secrète des chasseurs qui les voient parfois comme un bel objet de vengeance légitime. Enfin, la vallée d’Ossau est loin pour Davezies. Il y revient rarement, mais il y fait toujours référence. C’est même curieux que cet économiste du territoire, reconnu pour ses travaux novateurs qui nous donnent à lire autrement ce qu’il appelle « la circulation invisible des richesses » nous resserve régulièrement (dans les conversations privées peut-être) ses origines béarnaises et pyrénéennes. Est-ce l’actuelle coquetterie qui nous ferait tous nier notre habitus urbain ? Est-ce une fierté des origines qui se retrouve peut-être dans un rapport un peu furieux, il faut le dire, à la nature (c’est le seul économiste que je connaisse qui possède une camionnette dans laquelle il loge un bateau à moteur qui lui permet de pêcher lorsqu’il rencontre un lac) ? Ou bien, secrètement (il ne l’avouera jamais, cela le rapprocherait trop d’Elinor Ostrom (1)), n’est-il pas nostalgique du régime communautaire des vallées pyrénéennes, où les habitants se partageaient la gestion des estives sans volonté d’appropriation individuelle ? Toujours est-il que Laurent Davezies est devenu, au fil de ses travaux, le spécialiste des solidarités et de la redistribution entre les territoires. Il nous fait découvrir ce que l’Etat providence fait aux villes et aux campagnes. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Les économistes, pour la plupart, n’aiment pas trop le territoire. C’est trop compliqué, on ne peut pas modéliser, ce n’est qu’une série d’accidents et de singularités. Mais c’est quand même important. On ne peut pas toujours raisonner sur des individus abstraits, rationnels et hors sol. Il existe des conditions matérielles, un environnement, qui expliquent la prospérité des uns et les difficultés des autres. Le territoire, c’est la réalité même. Les conditions de vie concrètes des gens. Il faut arrêter, dit Prud’homme, d’écrire des équations avec des lettres grecques qui représentent autant d’abstractions, il faut passer à l’analyse des faits, des chiffres, se colleter les statistiques, faire des leçons de choses. Davezies (on passe les étapes) se retrouve après Nanterre, à Créteil, où il se place sous l’égide de ce Rémy Prud’Homme, « enfant spirituel de Kuznets » et suit à Dauphine les cours de Bernard Roy qui met en évidence les différents degrés d’exposition d’une économie territoriale à la compétition internationale. Les années 1970 et 1980 ont vu éclore en France une école d’économie territoriale avec les travaux du GREMI et ceux de Prud’Homme, Philippe Aydalot et Robert Rochefort. Ces chercheurs n’avaient pas de théorie préconstruite, ils étaient fondamentalement empiristes : si l’on veut comprendre ce que l’économie fait au territoire, il faut compiler les données, mouliner les chiffres, accumuler, accumuler. On entasse, on triture et après on discute. Avec une approche assez basique : ça coûte combien, et ça rapporte quoi ? Il est certain que, de nos jours, une telle interrogation peut être considérée comme mérovingienne. Mais elle est féconde, bien que comptable. Chercher l’argent : qui produit de la richesse ? Qui la prélève ? Comment est-elle redistribuée ? À qui et à quel territoire ? Voici les interrogations que Davezies met à l’épreuve dans un premier travail portant sur le péage urbain (on est quand même à la fin des années 1970 et la question reste aujourd’hui pendante dans les grandes aires urbaines).

Si l’on veut comprendre ce que l’économie fait au territoire, il faut compiler les données, mouliner les chiffres, accumuler, accumuler.

Dans sa thèse d’habilitation à diriger des recherches en 1993 Davezies énonce les points cardinaux de la recherche : 1/ l’argent ; 2/ les données ; 3/ les idées. Shame and Scandal in the Family. « La donnée précède l’idée ». Il se lance dans des compilations de bases de données qui coûtent vraiment cher au laboratoire (L’Œil !), à tel point que son mentor et ses collègues commencent à grommeler. Mais Davezies s’y tient : si l’on veut comprendre ce qui se passe dans les territoires, il faut des données. Et pour les obtenir, il faut les acheter. Pour les acheter, il faut de l’argent. Implacable raisonnement qui le conduit, avec son laboratoire, à accumuler des séries de données qui, peu à peu, vont leur conférer un monopole sur l’analyse économique territoriale et les finances publiques locales.

Malheur pour le pays, chance pour Davezies. Les transformations de l’économie bousculent les modèles économiques issus des Trente glorieuses. Les régions industrielles historiques en France s’enfoncent dans la désindustrialisation, le marasme, le chômage. L’économie territoriale est en crise. La discipline disparaît presque entièrement après un Hara-Kiri collectif des spécialistes. Davezies débarque sur ces brûlis. On repart alors sur la collecte de données territoriales. 

L’époque est héroïque. Ce n’est pas la ruée vers l’or de 1848, mais ça y ressemble : il faut aller dans les soutes de l’INSEE, des impôts, du ministère de l’Intérieur pour creuser les filons et rapporter les pépites. Ça coûte cher. Mais, peu à peu, l’investissement se révèle rentable. Dans sa thèse de 3ème cycle, Davezies montre que l’Île-de-France est la seule région contributrice à la solidarité nationale : elle concentre les revenus et les redistribue par différents canaux vers les autres régions. Et, chose curieuse, à mesure que les capacités productives des régions (mesurées à l‘aune du PIB) divergent, les revenus des habitants se rapprochent. Que se passe-t-il ? L’argent qui irrigue les territoires n’est que marginalement lié aux sommes explicitement ciblées vers les territoires. Ce qui finance le local, c’est surtout l’argent redistribué entre les personnes par les salaires, la sécurité sociale, les pensions de retraites, et la mobilité des actifs.

Si l’Europe formait un seul État, la logique de redistribution territoriale
serait plus claire, mais dans le dispositif à deux niveaux, les aides de l’Europe restent anecdotiques par rapport aux mécanismes invisibles internes aux États-nations.

L’affaire monte à l’échelle européenne et mondiale. A l’OCDE, aussi bien qu’à la Commission européenne, chacun pense que les régions riches pillent les régions pauvres. Eh bien non, dit Davezies : même dans les États peu providentiels comme le Mexique, si l’on raisonne en valeur absolue et pas seulement en proportion, on observe que les régions pauvres sont gagnantes au jeu de la fiscalité, même si celle-ci est régressive. Problème : les politiques régionales européennes visent dans chaque pays, les régions pauvres. Paradoxe du raisonnement de Davezies : si on veut aider l’Alentejo, il vaut mieux soutenir Lisbonne, parce que les mécanismes de redistribution internes aux Etats sont plus puissants que ceux de l’Union Européenne. Évidemment, si l’Europe formait un seul État, la logique de redistribution territoriale serait plus claire, mais dans le dispositif à deux niveaux, les aides de l’Europe restent anecdotiques par rapport aux mécanismes invisibles internes aux Etats-Nations.

Tirant son fil, avec ses camarades de laboratoire, Prud’homme, Richard Darbera, et Marie-Paule Rousseau, Davezies fait d’autres découvertes. Si ce flux des riches vers les pauvres se constate, c’est bien parce qu’il y a une surproductivité des régions métropolitaines, qui génèrent plus de richesse que la moyenne. Proposition contestée par certains, mais qui, quelques années plus tard sera aux fondements de la « Nouvelle économie géographique ». Cette performance des métropoles ne leur confère pas d’ailleurs une position dominante, puisqu’au jeu des redistributions monétaires, elles sont perdantes dans un pays comme la France. C’est du moins ce que Davezies, torturant avec constance les bases de données de l’INSEE, de l’ASSEDIC ou des impôts, nous révèle, étude après étude.

Bien d’autres histoires pourraient être écrites sur Laurent Davezies : décentralisateur au Zaïre, citoyen d’honneur de l’Australie (on n’invente pas), et dans sa récente période (mais pas la dernière) hésitant : compte tenu des enjeux franciliens et nationaux, faut-il ou non un gouvernement intégré pour le Grand Paris ? Davezies hésite, Davezies ne sait pas, Davezies s’interroge. Nous n’en saurons pas plus, car nous-mêmes sommes plongés dans la plus profonde perplexité.

(1)  Elinor Ostrom, prix nobel d’économie, auteur de Governing the Commons, Indiana University Press, 1991.

Propos recueillis par Philippe Estèbe.

Tel Aviv, vue vers le sud (et Jaffa) depuis la chambre 1510 de l’hôtel Royal Beach. Avril 2019
Boulevard Richard Lenoir, 2020

Extrait des dessins de Laurent Davezies, à retrouver dans le n° 32

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Fredric Bell, La pandémie pousse les New yorkais dans la rue – extrait du n° 32 https://tousurbains.fr/index.php/2021/04/11/fredric-bell-la-pandemie-pousse-les-new-yorkais-dans-la-rue/ https://tousurbains.fr/index.php/2021/04/11/fredric-bell-la-pandemie-pousse-les-new-yorkais-dans-la-rue/#respond Sun, 11 Apr 2021 15:12:52 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1170 Fredric Bell est un architecte new-yorkais. Ancien directeur du Centre d’architecture de New York puis de la Direction des travaux publics de la ville de New-York, il est depuis professeur d’urban design à l’Université Columbia. Il construit patiemment depuis plus de trente ans l’idée d’une architecture d’intérêt général dans un pays qui a fondé son identité sur l’initiative privée.

A la Direction des travaux publics de la ville, j’étais payé pour me taire, à l’Université de Columbia, je suis payé pour parler ; cela me correspond beaucoup mieux. 

J’enseigne auprès d’architectes, d’ingénieurs et d’urbanistes et nous menons des projets de recherche en collaboration avec des agences publiques. La plupart de mes étudiants ne sont pas américains ; ils viennent d’Asie, de Chine et d’Inde essentiellement. Contrairement à d’autres étudiants étrangers partis dès les premières alertes de la crise sanitaire, les étudiants asiatiques sont en grande majorité restés de peur, s’ils partaient, de ne pas pouvoir revenir sur le territoire américain. Les horaires des cours ont été adaptés afin que les étudiants restés et ceux rentrés chez eux puissent suivre les cours malgré le décalage horaire. Tout au long de son mandat l’administration Trump s’est activée à durcir les règles relatives à l’immigration. Il était déjà difficile avant de venir, depuis Trump c’est quasiment mission impossible d’obtenir un visa même pour étudier, tant les conditions requises sont dissuasives.

En bon démocrate new-yorkais, race à part s’il en est, je n’ai que peu d’égard pour Donald Trump. Ses pseudos-réussites, qu’il martèle de meeting en meeting comme pour s’en convaincre lui-même, sonnent comme les élucubrations d’un charlatan de saloon, alors que les cassures qu’il a creusées sont, elles, bien visibles et peuvent se mesurer à tous les niveaux de la société américaine. Il a relativisé la vérité jusqu’à l’insupportable, convaincu sans doute qu’un mensonge martelé inlassablement avec conviction devient une vérité. 

Le monde d’après aux Etats-Unis, c’est donc et surtout le monde d’après Trump. Il s’agit de reconstruire le pays après cet ouragan politique de quatre ans dont nous observons aujourd’hui les ravages avec consternation. Paradoxalement, c’est la pandémie qui l’a défait. Comme un piège incidemment tendu par l’adversité et dans lequel il s’est vautré. Incapable d’organiser la gestion sanitaire, ignorant l’empathie, lui préférant le déni. Au moment où a lieu cet échange, alors que le monde voit peut-être le bout du tunnel, les Etats-Unis se débattent avec le mal en cumulant les records mondiaux morbides d’infections et de décès. 

Il s’agit de reconstruire le pays après cet ouragan politique de quatre ans dont nous observons aujourd’hui les ravages avec consternation.

Avant la pandémie, New-York à l’instar d’autres villes-mondes s’était déjà engagé dans une forme de transition environnementale et la pandémie va accélérer cette dynamique de renaturation que l’on peut observer à Paris et qui repose sur la réduction drastique de l’espace dédié à la voiture individuelle, par ailleurs constitutive de l’identité américaine. Comme dans toutes les métropoles, la baisse du trafic automobile liée au confinement a laissé entrevoir un horizon différent, une opportunité de réappropriation de l’espace public par les habitants. A New-York et plus généralement dans la ville américaine, la relation à l’espace public est différente de celle des villes européennes. Elle est plus, comment dire, furtive. Les rues de New-York sont comme des profonds canyons dans lesquels ruisselle un flot agité et permanent de passants pressés. Dans l’espace public new-yorkais le passant est en mouvement perpétuel, rapide, frénétique. Les terrasses de bistrot y sont rarement sur les trottoirs. On leur préfère les roof-tops desquels on peut observer le tumulte, en prenant de la hauteur. Prendre de la hauteur, c’est très new-yorkais. Mais New-York, même New-York, s’est figée. Ses rues vidées, ses bars fermés. Des expériences çà et là de survie sociale ont vu le jour, une terrasse laissée dehors sur Greenpoint à Brooklyn afin de permettre un peu d’interaction sociale…La pandémie va peut-être changer à New-York ce rapport très fonctionnel à l’espace public. 

La High-Line, cette ancienne voie ferrée aérienne du Far West Side transformée en parc linéaire (inspirée de la promenade du viaduc Daumesnil à Paris) par les architectes Diller, Scofidio et Renfro en 2009, était encore récemment à sens-unique. On ne pouvait plus l’atteindre et la quitter comme on veut, il fallait suivre les itinéraires fléchés ce qui diminuait son rôle de connecteur urbain et la transformait en attraction pour touriste absent. Il y a moins de place pour la spontanéité, on ne peut plus se pointer comme ça dans un musée ou un restaurant, il faut réserver. De même que le masque, le « time ticket » s’est installé dans nos pratiques sociales et culturelles. 

Le confinement dans les appartements minuscules, avec parfois une unique fenêtre donnant sur un mur en brique voisin à portée de main, pousse vers le dehors. En bas, les commerces qui filtrent les clients provoquent des files d’attente sur les trottoirs, inconnues jusque-là. Le New-yorkais redécouvre la rue en y faisant le pied de grue dans de longues files en pointillés. Les trottoirs devant les magasins deviennent les nouveaux lieux de rencontre. C’est là à présent qu’on parle du passé ou qu’on rêve du monde d’après, d’après Trump bien sûr. Quelques bancs, tables et chaises ont fait leur apparition. Ce mobilier urbain, d’un nouveau genre celui-ci car réellement mobile, colonise certaines rues ainsi que les parcs comme autant d’invitations à l’appropriation de l’espace public. Alors on en a profité. Quelques rues ont été fermées à la circulation automobile et immédiatement occupées par des habitants, trop heureux de cet élargissement inattendu de leur espace domestique dont ils avaient pu en y étant confinés mesurer pleinement l’exiguïté. La plupart des logements de la ville n’ont souvent ni jardin, ni terrasse, ni même un balcon.   

L’activation de l’espace public de proximité a considérablement renforcé les relations de voisinage à l’échelle de l’immeuble, de l’îlot et du quartier. C’est une tendance que l’on peut observer plus globalement en ville depuis la pandémie. Confinés, les habitants des villes ont redécouvert leur voisinage, le plus souvent pour le meilleur. On peut espérer que cette intensification des rapports sociaux initiés à la faveur de la pandémie puisse perdurer et rompre ainsi l’isolement inhérent à la multitude des grandes métropoles. 

Le New-Yorkais redécouvre la rue en y faisant le pied de grue dans de
longues files en pointillés. Les trottoirs devant les magasins deviennent les nouveaux lieux de rencontre.

Ce nouvel intérêt pour l’espace public a rendu d’autant plus criant son obsolescence, la pauvreté de ses aménagements, sa soumission à l’automobile. Des initiatives populaires se font jour pour demander l’élargissement des trottoirs, la création de pistes cyclables et de voies piétonnes. Si les rues deviennent des lieux de voisinage et d’expression de nouvelles relations sociales, les parcs voient également leur usage se transformer par la pandémie. Auparavant plutôt fréquentés par les joggers et pour les activités de loisirs, les parcs deviennent les nouveaux lieux de rencontre à la mode. On y organise diverses réunions familiales, des séminaires, des répétitions de théâtre, des concerts et toute sorte d’activités au grand air qui étaient jusqu’ici encloisonnées dans les blocs et les gratte-ciels. Depuis les parcs, on voit ces gigantesques bâtiments vides, éteints, comme un cimetière d’éléphants, vestiges de temps passés, bons à être transformés. 

Résignée à l’idée qu’il faudra apprendre à vivre avec le virus, New York se prend à imaginer les espaces du nouveau monde. Un mélange de virtuel et d’occupation très physique de l’espace. La distance sociale pourrait aussi aboutir à donner un peu plus d’espace à chacun dans cette ville congestionnée. New-York, ville résiliente par excellence, se réinventera comme elle l’a toujours fait.

Propos recueillis par Vincent Lavergne. Hiver 2020

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L’ivresse de la feuille blanche, l’architecture aux Beaux-Arts avant 1968. Dernière parution de Philippe Panerai https://tousurbains.fr/index.php/2021/04/05/livresse-de-la-feuille-blanche-larchitecture-aux-beaux-arts-avant-1968-derniere-parution-de-philippe-panerai/ https://tousurbains.fr/index.php/2021/04/05/livresse-de-la-feuille-blanche-larchitecture-aux-beaux-arts-avant-1968-derniere-parution-de-philippe-panerai/#respond Mon, 05 Apr 2021 14:35:33 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1159

” Voici un livre captivant. Il plonge dans une histoire qu’on croyait connaître, la remet en perspective et réveille notre regard sur le présent. Philippe Panerai revient sur ses premiers pas dans la vie d’architecte et nous invite à l’ accompagner. Son temps, ce sont les dernières années de l’école des Beaux-arts, si décriée et mythifiée à la fois par ceux – et celles, plus rares – qui y sont passés. Son sujet, c’est l’ enseignement de l’architecture, ses arcanes et ses évolutions, vues depuis cette institution qui formait à l’ époque la majorité des architectes français. Témoin, enquêteur et interprète d’ une situation qu’il a connue de l’intérieur  il entremêle les souvenirs, les faits et les analyses pour portraiturer rétrospectivement cette société dans son cadre, avec sa mentalité et ses rouages, juste avant sa disparition.
Les Beaux-Arts, nous dit-il, c’est à la fois un système, une culture et un esprit qui s’entretiennent l’un l’autre. On ne peut les saisir qu’en s’intéressant concrètement au contenu des études, aux emplois du temps, aux rythmes et aux rituels de la vie quotidienne, à la cohabitation des circonstances du moment et des reliefs du passé. “

Françoise Fromonot

Le dernier ouvrage de Philippe Panerai est paru à l’automne 2020 aux éditions pb&a. A cette occasion, un entretien lui a été consacré dans le n° 32 de la revue Tous urbains, à paraître début mai.

Le livre est disponible au prix de 28 euros dans toutes les bonnes librairies, dont notamment Le genre urbain au 60 rue de Belleville – 75020 Paris et la Librairie Volume au 47 rue de Nazareth – 75003 Paris.
Vous pouvez également le commander directement chez pb&a au 10 rue des Feuillantines – 75005 Paris.
Une version e-book est également disponible au prix de 15 euros sur Librinova et sur Amazon.


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Les élections présidentielles américaines (2020) ou le défi des sociétés mondialisées par Cynthia Ghorra-Gobin https://tousurbains.fr/index.php/2020/12/10/les-elections-presidentielles-americaines-2020-ou-le-defi-des-societes-mondialisees/ https://tousurbains.fr/index.php/2020/12/10/les-elections-presidentielles-americaines-2020-ou-le-defi-des-societes-mondialisees/#respond Thu, 10 Dec 2020 11:29:13 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1148 Cynthia Ghorra-Gobin

Carnet de recherche : https://skyscraper.hypotheses.org

Lors d’une émission de France-Culture au lendemain des élections présidentielles américaines de l’automne 2020 où le taux de participation des électeurs s’élevait à plus de 70% le sociologue-journaliste David Goodhart mettait l’accent sur le rôle de l’éducation pour expliquer le vote de 72 millions d’Américains en faveur du président-candidat Donald Trump face à la victoire du candidat démocrate Joe Biden.

Le point de vue de Goodhart  – -un ancien journaliste au Financial Times devenu célèbre pour son analyse du vote en faveur du Brexit soulignant la victoire de ceux qui vivent quelque part (somewhere) face à ceux qui sont chez eux partout (anywhere) sera retenu dans ce billet.  Il diffère de celui d’autres journalistes qui après avoir observé la carte du résultat des élections prolongent les débats du 20ème siècle et continuent d’opposer le vote des territoires urbains et ruraux. 

Cette mise en perspective des critères retenus à différentes périodes pour mener une campagne présidentielle ou pour en expliquer le résultat permet d’apporter un éclairage sur les enjeux contemporains de la société américaine.  Interpréter les élections américaines peut également être perçu comme un moyen de s’interroger sur le rôle de l’éducation dans les sociétés démocratiques et mondialisées.    

1-Les élections présidentielles dans un régime fédéral 

A l’issue de la campagne présidentielle de 2020, le candidat démocrate Joe Biden sera investi le 20 Janvier 2021 en tant que 46ème président des Etats-Unis.  Les Etats-Unis dont la population s’élève à 330 millions d’habitants sont un État caractérisé par un régime fédéral où  le président est désigné par les 538 membres du collège électoral –et non par le vote populaire-  dont le nombre varie d’un État à un autre en fonction du chiffre de sa population et du nombre de ses Représentants au Congrès (Sénat et Chambre des Représentants). 

Si la Californie dispose du plus grand nombre d’électeurs avec  55 membres en raison de son poids démographique de 39 millions d’habitants, le Minnesota n’en détient que 10 pour une population de 5,6 millions. Le candidat démocrate Joe Biden a remporté la majorité des voix du collège électoral avec 306 votes sur 538 et il a recueilli 6 millions de voix de plus  – -issues du vote populaire- – que son rival républicain Donald Trump.   

Précisons également que dans ce régime fédéral, le vote des grands électeurs se déroule sur la base du scrutin majoritaire : lorsque la majorité des habitants  d’un État se prononcent pour un candidat, ce dernier remporte la totalité des voix des grands électeurs de l’État. Le territoire des Etats-Unis est ainsi cartographié sous la forme d’Etats rouges (parti républicain) ou bleus (parti démocrate).  Si un nombre réduit d’Américains critique l’idée d’un vote relevant du collège électoral reflétant la diversité d’un vaste territoire, ils sont nombreux à dénoncer le principe du scrutin majoritaire. 

Tous les États ne font pas l’objet d’une attention équivalente.  En 2016 comme en 2020, la Californie et le Texas dont le vote ne présente aucune surprise – – dans la mesure où le premier est classé démocrate et le second républicain- – ont fait l’objet de peu de commentaires contrairement aux États qualifiés de battleground states ou swing states localisés dans le Midwest, comme le Minnesota, le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie ou comme la Géorgie et l’Arizona dans le sud et sud-ouest.

Les élections américaines se traduisent depuis plusieurs années par la diffusion d’une carte rendant compte de la répartition des votes au travers de l’unité de mesure qu’est le comté.  Un rapide regard sur la carte (coloriée en bleu et rouge)  illustrant le vote des 3007 comtés véhicule l’impression que les villes et les métropoles votent pour le parti démocrate et les territoires ruraux (incluant parfois territoires périurbains) votent pour le parti républicain (Lévy et al. 2020).  Mais si d’un point de vue théorique, il est aisé de définir comtés urbains et comtés ruraux, il est plus difficile de les identifier.  En effet un comté peut contenir une diversité de territoires (urbains, suburbains, ruraux et périurbains) et la notion de suburbs  (banlieues) est loin de revêtir une définition précise, comme l’indiquent Richard Florida et son équipe (2020). Un territoire métropolitain s’étend sur plusieurs comtés et tous les comtés ne votent pas pour le parti démocrate à l’instar du comté central.

En prenant l’exemple du territoire du Conseil métropolitain de Minneapolis St Paul[i] (Minnesota) qui couvre sept comtés, trois comtés (Scott, Anoka et Carver) ont voté pour le président Trump comme les territoires ruraux de l’État du Minnesota alors qu’ils juxtaposent territoires urbains, ruraux et périurbains.  Les quatre autres comtés (Hennepin, Ramsey, Dakota et Washington) ont voté pour Biden mais seuls les deux premiers peuvent être qualifiés d’urbains.  Précisons également que les sept comtés sont façonnés par un paysage de maisons individuelles entourées d’un jardin, y compris dans les villes centres (hors downtown) que sont Minneapolis et St Paul (Ghorra-Gobin & Azuelos, 2020).  Peu de villes américaines ressemblent en fait à Manhattan ou Boston.  Et le paysage métropolitain est très différent de celui qui peut être observé en France et en Europe, il est relativement peu dense.     

Néanmoins la figure de la maison individuelle entourée du jardin comme modèle de l’habitat pour tous a fait au cours des récentes décennies l’objet d’une critique de la part des professionnels, des élus et des associations sensibles à la question de l’artificialisation des sols et à la protection de l’environnement naturel.  Cette critique a influencé le Conseil métropolitain de Minneapolis St Paul  qui a demandé aux différentes municipalités d’opter pour une politique de densification au profit de l’immeuble collectif, de la mixité fonctionnelle (immeuble accueillant des logements, des bureaux et des commerces ou autres activités) et de la mixité sociale. 

2- Du Gender Gap à l’Educational Gap

Dès le début du 20ème siècle les villes ont majoritairement voté pour le parti démocrate et les suburbs  pour le parti républicain.  Cette répartition s’est affirmée dans les années 1920 quand le recensement a indiqué que la nation américaine était désormais urbaine.  Les emplois et les emplois industriels étaient alors situés dans les villes.  Le parti démocrate de l’époque portait peu d’attention aux suburbs dont le chiffre de population était inférieur à celui des villes. 

Mais dans la décennie 1990, il a changé de point de vue lorsque le recensement a déclaré qu’elles représentaient  désormais la majorité de la population et que la société américaine était désormais suburbaine.  Le candidat du parti démocrate Bill Clinton s’est alors intéressé aux suburbs lors de ses deux campagnes présidentielles (Ghorra-Gobin, 1996).  Il s’est adressé aux femmes de classe moyenne habitant dans les banlieues et contraintes d’assumer le rôle de ‘chauffeur’ pour les activités extra-scolaires de leurs enfants.  Le slogan « soccer moms » (mères du football) lui a permis d’être réélu en 1996 avec 53% des votes des femmes, un chiffre nettement supérieur à celui des hommes situé à 43%.  Il fut alors question du gender gap pour expliquer la victoire du parti démocrate aux élections présidentielles (Caroll, 1999).   

En 2020 le message du parti démocrate a ciblé les populations suburbaines et plus particulièrement celles qui avaient voté pour Trump en 2016.  Joe Biden a ainsi remporté la majorité des votes suburbains (57%)  ce qui n’avait pas fait la candidate démocrate Hilary Clinton en 2016 (49%). Seules des études plus fines différenciant les figures urbaines, suburbaines et périurbaines et rassemblant des données au niveau municipal et non au niveau du comté pourront confirmer ou invalider la thèse de l’opposition frontale entre les villes et les banlieues ou les villes et le périurbain. 

Par ailleurs contrairement aux banlieues du 20ème siècle presqu’exclusivement habitées par des populations blanches,  les suburbs  du 21ème siècle se caractérisent par une certaine diversité sociale et ethnique : des ménages issus des minorités ethniques et raciales ont accédé au rêve américain.  Le message du  président-candidat Trump reprochant au candidat Biden de vouloir «abolir les banlieues et détruire le rêve américain » (abolish the suburbs and destroy suburban lifestyles dream) fut une erreur.  De nombreux comtés suburbains qui avaient voté pour Trump en 2016 ont voté pour Biden quatre ans plus tard, leurs populations ayant changé au profit de ménages multiculturels et de personnes diplômées.  C’est le vote des suburbs qui a permis au parti démocrate de gagner les États battleground du Midwest qu’il avait perdu en 2016  à l’exception du Minnesota et de l’Illinois.  

Pour les chercheurs comme le politiste du MIT Charles Stewart, la comparaison entre le vote démocrate et le vote républicain ne s’explique pas en raison de qualités intrinsèques à l’écosystème urbain, suburbain ou rural mais à leur niveau d’éducation.  Si la carte présentant le résultat des élections indique que les comtés urbains et suburbains ont majoritairement voté pour le candidat démocrate pendant que les comtés ruraux ont voté pour le candidat républicain, ils précisent aussitôt que les comtés ruraux correspondent aux territoires habités par des personnes non diplômées de l’université ou des grandes écoles.

Stewart, spécialiste des élections, parle de l’Educational Gap.  Pour lui les comtés urbains et suburbains se caractérisent par un pourcentage de personnes diplômées nettement supérieur à celui des comtés ruraux.  En d’autres termes le clivage se situe au niveau du  diplôme et des qualifications des classes créatives c’est-à-dire les individus insérés dans la mondialisation.  Ce point de vue est  nuancé par quelques observateurs qui déclarent  que le facteur diplôme sera exacerbé par la personnalité de Donald Trump et serait peut-être moins pertinent pour comprendre l’ensemble du vote républicain.     

 L’Educational Gap : l’enjeu des sociétés démocratiques et mondialisées

Cette analyse du résultat des élections présidentielles américaines de 2020 dans un contexte marqué par la pandémie et la crise sanitaire, peut étayer la thèse du diplôme suggéré par Goodhart pour expliquer la victoire du candidat démocrate face au président-candidat Trump.  Il s’avère difficile de s’en tenir à l’opposition binaire entre métropoles et territoires ruraux sans faire référence à l’Educational Gap.  Cette thèse n’est pas très éloignée de celle de François Dubet et de Marie Duru-Bellat qui explique le malaise social de la société en raison des inégalités scolaires.   

Contrairement à la doxa, les deux chercheurs pensent que l’élargissement du système éducatif comme un moyen de réduire les inégalités sociales n’est plus vraiment d’actualité.  Il ne s’agit pas de renier cette conviction en faveur d’une société de la connaissance mais de se demander si la massification de l’enseignement a tenu ses promesses de progrès de la démocratie.  Les sociétés contemporaines sont marquées par des inégalités engendrées par l’école et le diplôme qui en France va jusqu’à différencier celui des grandes écoles de celui des universités.  Le niveau d’éducation renforce certes le libéralisme culturel mais la « contrepartie de l’effet diplôme est que les moins éduqués adhèrent plus souvent que les autres aux valeurs antidémocratiques ».  En d’autres termes ils sont plus favorables aux gouvernements autoritaires et/ou relevant de l’idéologie populiste.

Interpréter le résultat des élections américaines conduit à s’inscrire dans le sillage de la thèse de Goodhart.  Aux Etats-Unis les électorats démocrates sont composés de diplômés alors que les électorats populistes sont des vaincus de la compétition scolaire.  L’écart éducationnel (educational gap) se présente ainsi comme un véritable défi pour les sociétés démocratiques où un diplôme reconnu permet de bénéficier des avantages de la mondialisation et de la globalisation.  Les 72 millions d’électeurs ayant voté pour Trump en 2020 risquent de détourner les Etats-Unis de l’orbite la mondialisation.  En 1984 le président-candidat Ronald Reagan avait été réélu pour un second mandat par 525 votes du collège électoral contre 13 pour son rival démocrate Walter Mondale.  Ce contraste entre le 20ème et le 21ème siècle est saisissant : l’éducation représenterait un enjeu mondial pour éviter le repli sur soi et penser l’interdépendance et la solidarité entre les nations.          

Cynthia Ghorra-Gobin


[i] . La ville de Minneapolis a fait la une des médias lors du décès de George Floyd suite à des violences policières le 25 Mai 2020.  L’annonce de ce décès a mobilisé le mouvement Black Lives Matter et s’est traduit par des manifestations (parfois violentes) dans de nombreuses villes du pays.

Références bibliographiques

Susan J. Carroll, « The Disempowerment of the Gender Gap: Soccer Moms and the 1996 elections », American Political Science Association, vol. 32 N°1, Mars 1999, pp.7-11.

François Dubet et Marie Duru-Bellat, L’école peut-elle sauver la démocratie ?, Seuil, 2020.  

Marie Duru-Bellat et François Dubet, « L’égalité scolaire, un enjeu de survie pour la démocratie », The Conservation, 4 décembre 2020

Richard Florida, Marie Patino et Rachael Dottle, « How Suburbs Swung the 2020 Election », City Lab https://www.bloomberg.com/graphics/2020-suburban-density-election/?cmpid=BBD112220_CITYLABMP&utm_medium=email&utm_source=newsletter&utm_term=201122&utm_campaign=citylabmostpop

Cynthia Ghorra-Gobin, «Election présidentielle : Bill Clinton et la société suburbaine », Le Monde, 30 octobre 1996, p.16.

Cynthia Ghorra-Gobin et Martine Azuelos, « Le Minnesota : Comprendre les enjeux nationaux au prisme des territoires »,IFRI, Potomac Papers N°39, septembre 2020 https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/potomac-papers/minnesota-comprendre-enjeux-nationaux-prisme-territoires

David Goodhart, Les deux clans: la nouvelle fracture mondiale, Les Arènes, 2019 (traduction française de The road to somewhere: the populist revolt and the future of politics, Londres, C.Hurst & Co, 2017).

Jacques Lévy, Sébastien Plantoni, Ana Povoas et Justine Richelle, « Les cartes électorales des Etats-Unis exposent deux mondes qui se font face », Le Monde, 8/9 novembre 2020, p.32.

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“Reconstruire Beyrouth”, entretien avec Jad Tabet, architecte, président de l’Ordre des Ingénieurs et Architectes du Liban https://tousurbains.fr/index.php/2020/11/02/reconstruire-beyrouth-entretien-avec-jad-tabet-architecte-president-de-lordre-des-ingenieurs-et-architectes-du-liban/ https://tousurbains.fr/index.php/2020/11/02/reconstruire-beyrouth-entretien-avec-jad-tabet-architecte-president-de-lordre-des-ingenieurs-et-architectes-du-liban/#comments Mon, 02 Nov 2020 07:00:44 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1072

L’explosion du 4 août, à 18h sur le Port de Beyrouth a été ressentie dans toute la ville. J’étais moi-même dans mon appartement qui est situé assez loin du port et au-delà de la crête qui marque le sommet du centre-ville, donc non-directement exposé, et à la seconde explosion, la plus forte, quelques instants après le premier choc, toutes les vitres de l’immeuble sont tombées et autant dans les bâtiments voisins.

Tous urbains : Bonjour Jad Tabet et merci de nous accorder un peu de votre temps pour nous parler de la reconstruction de Beyrouth. Vous êtes architecte, président de l’Ordre des Ingénieurs et Architectes du Liban qui est une institution importante puisqu’elle doit donner son avis sur  l’ensemble des plans d’urbanisme et les grands projets au Liban et qu’elle présente la particularité de réunir les ingénieurs et les architectes, ce qui lui donne une force que nous ne connaissons pas ici.

Vous nous direz les raisons qui vous ont conduit aujourd’hui à Paris car j’imagine que ce n’est pas seulement le charme de notre capitale qui vous attire en ce moment, mais je voudrais d’abord vous poser une question : comment s’est faite cette mobilisation assez extraordinaire qui a abouti à la déclaration de Beyrouth élaborée par votre Ordre en partenariat avec les sept Ecoles d’Architecture du Liban et a permis en un temps relativement court d‘établir un premier diagnostic des dégâts et un ensemble de principes et d’orientations pour organiser la reconstruction des secteurs les plus touchés par l’explosion.

Jad Tabet : L’explosion du 4 août, à 18h sur le Port de Beyrouth a été ressentie dans toute la ville. J’étais moi-même dans mon appartement qui est situé assez loin du port et au-delà de la crête qui marque le sommet du centre-ville, donc non-directement exposé, et à la seconde explosion, la plus forte, quelques instants après le premier choc, toutes les vitres de l’immeuble sont tombées et autant dans les bâtiments voisins. On n’imagine pas un choc de cette violence et de cette ampleur ; les vitres ont été soufflées parfois jusqu’à 15 km du port… donc la question de la reconstruction s’est immédiatement posée et très vite l’Ordre des Ingénieurs et des Architectes, les différentes associations professionnelles, les Ecoles et Facultés d’Architecture se sont rassemblées et se sont organisés pour faire ce qui nous est apparu le plus urgent : le diagnostic du désastre, l’état des lieux.

La zone urbaine la plus touchée couvre une superficie d’environ 3 km2 et comprend les quartiers populaires et la zone industrielle de la Quarantaine et de Medawar, le quartier arménien (Badaoui) en limite du fleuve, les quartiers en contre-bas de la colline d’Achrafieh (Mar Mikhaël, Gemmayzeh, Gitaoui et Rmeil) ainsi que le quartier de Saifi en limite du centre-ville ; ça c’est ce qui forme la zone prioritaire.

Mais l’explosion a touché également les quartiers voisins de Bourj Hammoud, Achrafieh, Bachoura, Zokak el Blat et plus ou moins l’ensemble de la ville. Au total plus de 200 morts, de milliers de blessés (plus de 6000 ?), certains très sévèrement, 300 bâtiments détruits ou gravement endommagés avec des risques d’effondrement et des dizaines de milliers d’habitants déplacés, sans logements.

Alors voilà, on s’est organisé et on s’est mis au travail. L’Ordre des Ingénieurs et Architectes en partenariat avec les Ecoles d’Architecture du Liban a rédigé la « Déclaration de Beyrouth » qui propose une vision globale pour la réhabilitation et la revitalisation des quartiers touchés. Et puis on a partagé le territoire des 3 km2 en une soixantaine de super îlots de dimensions variables mais représentant chacun une unité du tissu urbain et on a établi un diagnostic pour chacun : part d’emprise bâtie et part de terrain libre, intérêt patrimonial, état du bâti avec trois degrés de risque : fort, moyen, faible, etc.

Nous avons toujours cherché à mêler les données techniques et les données historiques, à résumer l’histoire de chaque quartier avec ses transformations et ses activités actuelles, sa singularité, son esprit.

Chacun de ces quartiers les plus touchés est liée d’une manière ou d’une autre à la croissance de Beyrouth. Ainsi à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle les notables beyrouthins, enrichis grâce à leurs liens avec le pouvoir ottoman et les consuls européens, édifient de somptueux palais sur les collines face au port, en surplomb de l’ancienne voie romaine située en contre-bas qui conduit vers les villes du nord : Byblos, Batroun et Tripoli.

Le quartier de Gemmayzeh se développe le long de cette voie avec des maisons de deux ou trois étages construites à l’alignement, c’est là qu’on trouve ces façades symétriques flanquées du motif des trois arcades centrales, avec un toit de tuiles rouges importées de Marseille, les boutiques sur la rue et les jardins en fond de parcelle. A côté, dans les premières années du mandat français, l’arrivée des Arméniens fuyant les massacres d’Anatolie favorise le développement des quartiers de Mar Mikhaël et de Badaoui à l’est de la ville avec des populations à revenus modestes et des activités artisanales. Plus au nord on trouve des activités industrielles à Medawar et les abattoirs à Maslakh.

ll y a une relative stabilité jusqu’à la fin des années 1990, puis la fièvre immobilière qui s’étend autour du centre-ville reconstruit commence à modifier le paysage urbain ; on construit des tours en bordure de la gare routière, le long de l’autoroute qui longe le port et sur les hauteurs. Et progressivement un processus de gentrification commence à transformer le caractère des rues, d’abord à Gemmayzeh puis dans  Mar Mikhaël. On trouve des cafés, restaurants et bars branchés et une partie des rez-de-chaussée sont aménagés en salles d’exposition, galeries d’art et studios d’artistes et de nombreuses activités culturelles et créatrices. Pourtant, une part importante de mixité sociale reste présente, grâce à la loi qui encadre les loyers anciens et permet aux anciens habitants aux revenus modestes de conserver leurs logements. C’est tout cela qu’il nous semble important de conserver, de protéger d’une spéculation aveugle qui détruirait le charme de la ville.

C’est le but de la « feuille de route » qui se propose de définir les enjeux ainsi que les principales actions à entreprendre afin d’assurer la bonne marche du processus de réhabilitation selon l’échelle des priorités à court et à moyen terme.

Chacun de ces quartiers les plus touchés est liée d’une manière ou d’une autre à la croissance de Beyrouth.

TU– Mais est-ce que cette attention à l’histoire n’est pas une espèce de luxe quand il faut d’abord se préoccuper d’étayer ce qui menace de s’effondrer et de reloger ceux qui ont perdu leur logement ?

JT– Nous n’oublions pas l’urgence, la feuille de route du 18 octobre qui développe la déclaration fixe les objectifs du travail collectif que l’état des lieux a engagé. Elle commence par affirmer LES PRINCIPAUX ENJEUX A COURT TERME c’est-à-dire ce que nous voulons réaliser maintenant, au cours du 4ème trimestre 2020 et  qui comprend 4 points : stabiliser l’existant, accueillir le retour des habitants, réhabiliter écoles, hôpitaux et bâtiments publics, restaurer le tissu économique et les activités culturelles et artistiques.

Le premier point est évident : Assurer la consolidation, la stabilisation et la couverture provisoire des bâtiments patrimoniaux les plus endommagés.

Avec la Direction Générale des Antiquités et le collectif Beirut Built Heritage Rescue (BBHR) qui a été constitué juste après l’explosion, nous avons établi un diagnostic sur la base d’un relevé de l’état des bâtiments patrimoniaux dans la région la plus fortement touchée. Ce diagnostic a permis de déterminer que sur un total de 362 bâtiments à caractère patrimonial qui ont tous été affectés à des degrés divers, 51 bâtiments présentent des risques élevés d’effondrement et 41 autres des dommages importants qui risquent d’être fortement aggravés dès l’arrivée de la saison de pluie. La plupart de ces bâtiments datent de la deuxième moitié du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle et sont construits en pierre de grès dunaire (dite ramleh) avec des charpentes en bois et des toits en tuile.

Les travaux de consolidation, de stabilisation et de couverture provisoire de ces bâtiments sont en cours d’exécution sous la supervision de la Direction Générale des Antiquités grâce à des dons privés. L’UNESCO a financé les travaux d’urgence sur deux bâtiments fortement endommagés et l’Allemagne s’est engagée à financer les travaux sur 12 autres bâtiments à travers l’initiative Li Beyrouth lancée par l’UNESCO. Il reste à assurer le financement d’une quinzaine de bâtiments le plus tôt possible avant l’arrivée de la saison de pluie. Nous sommes dans une véritable course de vitesse.   

Par ailleurs, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph) a déjà débloqué une première enveloppe de 1,2 millions de dollars (1 million d’euros) affectée principalement à la restauration de la Cathédrale grecque-orthodoxe Saint-Georges, la réhabilitation du Musée national, du Musée Sursock et du Musée de la Préhistoire de l’Université Saint-Joseph, ainsi que la stabilisation/restauration de collections endommagées des Musées Sursock et de l’Archéologie de l’Université américaine de Beyrouth. Une enveloppe supplémentaire d’environ 3,6 millions de dollars (3 millions d’Euros) devrait être assurée à l’avenir.

Ce diagnostic a permis de déterminer que sur un total de 362 bâtiments à caractère patrimonial qui ont tous été affectés à des degrés divers, 51 bâtiments présentent des risques élevés d’effondrement et 41 autres des dommages importants qui risquent d’être fortement aggravés dès l’arrivée de la saison de pluie.

Ces travaux en cours permettront d’engager le deuxième point : Assurer le retour rapide des habitants déplacés :bien que les premières estimations concernant les personnes sans-abri se soient révélées un peu exagérées, il y a quand même 10 000 à 15 000 logements qui sont aujourd’hui inhabitables. Bien sûr, le Liban est un pays méditerranéen où les systèmes de solidarité familiale fonctionnent très bien et où beaucoup d’habitants de la ville ont conservé des attaches dans leur village d’origine. Mais l’hiver arrive et cela risque de rendre les choses très difficiles si aucune solution n’est trouvée d’ici là pour assurer le retour des habitants dans leurs logements.

Le retour rapide à leurs logements des personnes déplacées constitue un objectif prioritaire afin d’empêcher le déplacement définitif des populations qui aboutirait à un changement démographique brutal et à la transformation du tissu social des quartiers. De plus il conditionne la reprise de la vie sociale et économique.

Mais les sources de financement restent pour l’instant aléatoires, d’autant que le paiement des matières premières importées (en priorité l’aluminium, le verre et le bois) doit être assuré en dollars « frais », c’est-à-dire à travers des fonds transférés depuis l’étranger. La Fondation de France a néanmoins débloqué un montant d’environ 2 millions d’Euros pour participer à la réhabilitation de logements pour les personnes les plus démunies. 

Le retour rapide à leurs logements des personnes déplacées constitue un objectif prioritaire afin d’empêcher le déplacement définitif des populations qui aboutirait à un changement démographique brutal et à la transformation du tissu social des quartiers. De plus il conditionne la reprise de la vie sociale et économique.

Permettre la vie sociale de ces quartiers est conditionné par le troisième point, Assurer la réhabilitation des écoles, des hôpitaux et des bâtiments publics :

Plus de trente écoles publiques et privées, des établissements d’enseignement supérieur, quatre hôpitaux, une vingtaine de cliniques, ainsi que plusieurs bâtiments publics comme le ministère des Affaires Etrangères et le siège de l’Electricité du Liban ont été sévèrement endommagés. Leur réhabilitation constitue un immense chantier avec une priorité absolue qui commence par les écoles pour accueillir les élèves des familles dès leur retour.

Le Qatar s’est engagé à travers l’UNESCO à assurer les fonds pour la réhabilitation des écoles ; le Koweït participe au financement de la réhabilitation des hôpitaux endommagés ; les financements pour les bâtiments publics restent à trouver.

Tout ceci conduit au quatrième point de la feuille de route, Permettre la restauration du tissu économique ainsi que la renaissance des activités culturelles et artistiques :

Nous sommes entre le centre-ville et le port, dans un ensemble de quartiers qui ont connu depuis quelques années une évolution très originale. Parallèlement aux bars et restaurants, les quartiers de Gemmayzeh et de Mar Mikhael ont vu depuis quinze ans un développement spectaculaire des activités culturelles et artistiques (galeries, ateliers d’artistes et de jeunes créateurs, cabinets d’architectes, studios de musique et de création télévisuelle, etc.). Ces quartiers qui débordaient de vie jour et nuit sont actuellement déserts. Il y a un risque très grand que cette part dynamique, éduquée et entreprenante qui constitue une véritable richesse du Liban ne choisisse un départ définitif vers d’autres cieux, ce qui constituerait une catastrophe sans précédent qui viendrait s’ajouter à la catastrophe du 4 août. D’où l’importance de monter des opérations d’urgence pour la revitalisation des quartiers touchés par l’explosion, que ce soit en assurant des locaux provisoires pour les artistes et les créateurs (structures préfabriquées, Algeco, etc.) ou en organisant des activités éphémères qui permettraient de redonner vie aux espaces publics désertés (urbanisme tactique, expositions temporaires, marchés, etc.). 

Ces quartiers qui débordaient de vie jour et nuit sont actuellement déserts. Il y a un risque très grand que cette part dynamique, éduquée et entreprenante qui constitue une véritable richesse du Liban ne choisisse un départ définitif vers d’autres cieux, ce qui constituerait une catastrophe sans précédent qui viendrait s’ajouter à la catastrophe du 4 août.

TU– On voit bien les principes qui, guident les actions d’urgence, et combien ces mesures techniques – stabiliser, retrouver le clos et le couvert – doivent permettre de faire revenir au plus vite les habitants et les activités. Et tout cela si possible avant l’hiver, deux mois à peine… Et au-delà, le moyen terme est vite arrivé, alors quelles priorités ?

JT – Le moyen terme s’enchaîne dès l’an prochain, dans deux mois à peine. Les actions déjà engagées visent à redonner vie aux quartiers les plus touchés, faire revenir les habitants, relancer la vie sociale et économique. Sur le plan technique elles utilisent des actions urgentes, rapides mais provisoires : étaiements, couvertures provisoires, modules préfabriqués, etc. Dès 2021 va commencer la réhabilitation de près de 600 bâtiments patrimoniaux endommagés. Avec une double exigence : une réhabilitation authentique qui ne soit pas seulement l’image mais le choix des matériaux et la manière de faire, et en même temps (mais cela va logiquement ensemble) prendre en compte les règles de protection antisismique, de prévention contre l’incendie et de protection de l’environnement.

Tout cela coûte cher. Le coût des travaux de réhabilitation des bâtiments patrimoniaux a été estimé par la Direction générale des Antiquités et le Beirut Built Heritage Rescue (BBHR) à environ 290 millions de dollars (246 millions d’Euros) dont environ 150 millions d’euros pour les éléments structurels, les façades et les toitures, et 96 millions d’euros pour les travaux intérieurs (dallages, faux plafonds, peinture et éléments décoratifs). Mon séjour à Paris m’a d’ailleurs permis de prendre contact avec l’UNESCO ainsi qu’avec les ambassadeurs des Etats qui sont parties prenantes afin d’aider au financement de ces travaux.

Parallèlementnous proposonsde Moderniser la législation sur le patrimoine actuellement régie par un texte de 1933 qui spécifie que « sont considérés comme antiquités tous les produits de l’activité humaine à quelque civilisation qu’ils appartiennent antérieurs à l’année 1700 » mais sont également assimilés aux antiquités « les objets immobiliers postérieurs à l’année 1700 dont la conservation présente un intérêt public au point de vue de l’histoire ou de l’art » à condition qu’ils soient inscrits à l’Inventaire Général des Monuments Historiques.

Or ce classement ouvre droit aux propriétaires des biens qui s’estiment lésés de réclamer une indemnité pour le préjudice qu’ils auront subi du fait du classement. En d’autres termes de compenser le manque à gagner par rapport à une opération immobilière qui en application du règlement d’urbanisme permettrait un coefficient d’occupation du sol (COS) extrêmement élevé (parfois jusqu’à 6,5 fois la surface de la parcelle dans certaines parties du centre ancien et des quartiers qui regroupent la plus forte densité de bâtiments patrimoniaux). Etant donné le prix élevé du foncier qui se répercute sur le montant des indemnités que les propriétaires des biens sont autorisés à réclamer, l’Etat ne peut agir qu’avec une très grande parcimonie dans l’inscription de ces biens à l’Inventaire Général des Monuments Historiques.

Cette situation a abouti au cours des vingt dernières années à une véritable hécatombe. On a vu disparaître des centaines de bâtiments à caractère patrimonial, remplacés par des tours y compris au cœur des quartiers anciens. Cette incapacité du cadre législatif en vigueur à protéger le patrimoine se trouve d’ailleurs aggravée par une conception dépassée qui ne considère que des objets patrimoniaux isolés sans prendre en compte les dimensions urbaines et paysagères.

Un projet de loi qui élargit la notion de patrimoine pour mieux prendre en compte ces dimensions a été approuvé par le Conseil des Ministres en 2017 et transmis à la Chambre des Députés. Ce projet qui tente par ailleurs de mettre en place des procédures de transfert de COS pour protéger les bâtiments à caractère patrimonial croupit depuis lors dans les arcanes des commissions parlementaires. L’adoption de ce projet de loi et la promulgation des décrets d’application correspondants permettraient d’offrir de nouveaux outils pour la protection du patrimoine des quartiers dévastés par l’explosion. 

Cette situation a abouti au cours des vingt dernières années à une véritable hécatombe. On a vu disparaître des centaines de bâtiments à caractère patrimonial, remplacés par des tours y compris au cœur des quartiers anciens.

TU- En fait vous voulez substituer à la protection des objets une attention à l’ensemble du tissu y compris les parties non bâties que ce soit les jardins privés ou les espaces publics avec un intérêt pour les activités qui peuvent s’y dérouler. C’est d’ailleurs ce qui inspire les actions à court terme que vous avez déjà engagées

JT- Oui, c’est l’idée que le patrimoine est vivant, que la vie d’un quartier est aussi liée au développement des activités qui s’y déroulent, à leur attrait vis-à-vis de la population de l’ensemble de la ville et même du pays. Et cela nous conduit à Elaborer un plan d’ensemble pour la requalification urbaine des quartiers sinistrés

Parallèlement à la modification de la législation sur le patrimoine, l’élaboration de ce plan constitue une étape importante afin de préserver le caractère de ces quartiers et d’inscrire la protection du patrimoine dans une vision globale basée sur la notion de « Paysage urbain historique » développée par l’UNESCO qui considère l’ensemble du site comme un tissu urbain et social vivant. Une telle approche permettrait d’élargir la notion de réhabilitation du patrimoine pour la relier aux pratiques, aux usages aux besoins et aux aspirations des habitants, en relation avec les enjeux de la ville contemporaine. Ceci dépasse largement les 3 km2 des mesures urgentes à court terme, il s’agit de repenser la question de la mobilité à l’échelle de la ville, de mettre en valeur les axes-majeurs inter-quartiers, de créer ou de mettre en valeur des espaces publics, place jardin etc…

Mais deux autres questions nous mobilisent également. Nous devons aujourd’hui Elaborer une politique de l’habitat qui assure la préservation de la mixité sociale. La loi qui encadre les loyers anciens a permis jusque-là aux habitants aux revenus modestes de conserver leurs logements mais la modification de la loi sur les loyers risque de modifier entièrement le tissu social dans les quartiers anciens de la capitale libanaise. Il est donc essentiel d’élaborer une politique de l’habitat qui s’articulerait sur les problématiques suivantes :

  • Assurer des logements temporaires (ou définitifs) durant la période de reconstruction et offrir des conditions d’habitat décent aux habitants des régions les plus durement touchées jusqu’à la réhabilitation complète de leurs logements.
  • Etablir un cadre de politique publique et des dispositifs législatifs et opérationnels et mettre en place des systèmes de financement permettant la création de logements sociaux et de logements abordables dans les centres urbains et plus particulièrement dans les régions sinistrées, en particulier dans les quartiers de la Quarantaine et de Mdawar. J’ai d’ailleurs pris contact avec divers organismes en France (Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, Fondation de France, ANAH, etc…) afin de nous aider dans la mise en place de tels dispositifs.  
  • Enfin il nous faut Redéfinir le rôle du port de Beyrouth  lui aussi touché au premier chef par l’explosion et qui s’est développé en tournant le dos à la ville. Deux axes stratégiques se dessinent dans le cadre du processus de reconstruction du port :         
    • Réévaluer le rôle du port en tant que pôle économique majeur en relation avec les autres ports du littoral libanais et par rapport aux ports principaux situés sur la rive Est de la Méditerranée (Tartous et Haïfa).
    • Relier le port aux quartiers centraux de la ville et rétablir sa relation avec les quartiers sinistrés.

TU- Merci Jad Tabet, merci monsieur le Président, de ces explications passionnantes sur cet immense projet de reconstruction de la capitale du Liban. Et bon courage pour affronter tout le travail qui vous attend dans cette aventure. Peut-être une dernière question, il y a 30 ans on pouvait voir à Beyrouth la reconstruction du centre-ville et le début du réaménagement du port, avec le concours d’une importante société privée, est-ce que dans la reconstruction qui s’engage, la société civile libanaise par l’intermédiaire de ses institutions, Ordre des ingénieurs et Architectes, Ecoles, associations professionnelles veut-elle donner l’exemple d’une reconstruction de Beyrouth par ses habitants ?

JT- La reconstruction du centre-ville de Beyrouth a été lancée dans un contexte politique et économique singulier. Le début des années 1990 avait vu naître l’espoir d’une paix au Proche Orient avec la conférence de Madrid et les accords d’Oslo. Ce contexte a permis d’attirer de nombreux capitaux et de lancer le projet de reconstruction dans l’espoir de permettre à Beyrouth de retrouver le rôle qu’elle jouait dans les années 1950-1960 en tant qu’intermédiaire entre l’Occident et l’Orient arabe et principal centre financier et d’affaires dans la région. Dubaï n’était pas encore devenu ce qu’il est aujourd’hui… On a donc rasé la ville ancienne et délogé les habitants pour créer un cadre urbain digne d’une ville « globale  pour le 21ème siècle ». L’échec de ce projet se reflète aujourd’hui dans les rues vides du centre-ville reconstruit et les terrains gagnés sur la mer restés en friche. Le contexte d’aujourd’hui, avec les tensions régionales et la crise économique et financière qui touche le Liban exclut tout projet de ce type. La reconstruction devra se faire avec les habitants, en s’opposant aux effets délétères d’une spéculation immobilière sauvage et en préservant les caractéristiques urbaines, sociales et paysagères des quartiers dévastés par l’explosion, puisque ce sont ces caractéristiques mêmes qui constituent les principaux atouts d’une reconstruction réussie.

Entretien réalisé à Paris le 28 octobre 2020 par Philippe Panerai pour Tous urbains

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Tous Urbains n°30-31 – Passer le témoin à l’heure du virus… par Jacques Donzelot, Olivier Mongin et Philippe Panerai https://tousurbains.fr/index.php/2020/11/01/tous-urbains-n30-31-passer-le-temoin-a-lheure-du-virus-par-jacques-donzelot-olivier-mongin-et-philippe-panerai/ https://tousurbains.fr/index.php/2020/11/01/tous-urbains-n30-31-passer-le-temoin-a-lheure-du-virus-par-jacques-donzelot-olivier-mongin-et-philippe-panerai/#respond Sun, 01 Nov 2020 18:42:57 +0000 https://tousurbains.fr/?p=1068 Il faut savoir tourner la page et inventer de nouvelles histoires. C’est la raison pour laquelle l’équipe de Tous urbains – la revue a été créée en 2012 – a décidé 3 à l’automne 2019 de mettre un terme à une « première série » de numéros et de passer le relais à un autre collectif. En ce qui concerne le dernier numéro de cette première série, celui que vous tenez entre vos mains, l’idée était que les rédacteurs s’interrogent sous la forme d’un article (et non pas, comme d’habitude, sous celle d’un éditorial) sur les changements notoires observés dans l’univers de l’urbain tout au long de ces huit années.

Mais comment tourner simplement la page et se pencher sur notre parcours sans prendre en compte aujourd’hui, en ce début du mois de juin 2020, l’imprévisible, à savoir le virus qui, n’en finissant toujours pas de faire son tour du monde, nous a confinés dans des espaces fort différents ? Les rédacteurs ont relevé le défi, chacun à sa manière et sans autre contrainte que celle de produire dans un moment de grande inquiétude et de solitude. Chacun d’entre nous a donc pris en considération une période plus ou moins longue qui pouvait bien sûr excéder les années du premier cycle de Tous urbains et envisager des ruptures beaucoup plus en amont. Si le virus a attisé la réflexion, il n’a pas remis en cause ce qui est énoncé dans la charte de la revue, rédigée pour le premier numéro de Tous urbains et qui conserve tout son sens. Comme celle-ci insistait sur le paradoxe d’une « mondialisation urbaine en mal d’urbanité », le virus a confirmé que cette focalisation de la mondialisation sur l’urbanisation (et pas uniquement sur les échanges économiques) n’était pas une erreur d’aiguillage ou une déformation professionnelle. On ne sera donc pas surpris de lire des contributions qui cherchent à configurer les dimensions actuelles de la mondialisation urbaine et qui invitent du même coup à se pencher sur les conditions de l’habitabilité et de la citoyenneté.

Après ce « dossier » substantiel, le numéro s’achève par un rappel des sommaires depuis le début de la revue ainsi qu’un classement des éditos par auteur, préparés et présentés par Ky-Anne Dalix qui, ayant rejoint la revue récemment, porte un regard neuf sur une histoire commencée sept ans plus tôt.

Pour le reste, comme nous bouclons ce numéro alors que des villes américaines s’embrasent contre les violences policières visant les Afro-Américains, rappelons que polis et démocratie vont de pair et que la ville est un espace singulier dont on attend qu’il pacifie la violence au profit d’un vivre ensemble citoyen. Que l’on se tourne du côté de l’Europe ou des émergents, l’équipe qui animera la deuxième série de Tous urbains aura de ce point de vue bien du pain sur la planche. Mais il n’y avait pas besoin de ce satané virus mondialisé pour le deviner…

Jacques Donzelot, Olivier Mongin et Philippe Panerai 1er juin 2020

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